nement intéressantes ; toutefois la postérité nous apprendra que chez les romantiques, même avant 1844, le nombre de coupes syntaxiques d'égale importance à l'intérieur du grand vers national français ne se limitait pas à l'inventaire de Ténint qui, de surcroît, ne présentant pas de statistiques, laisse planer des doutes sur la fréquence et donc la vitalité de certains exemples de vers.
2. VERS UNE SYNTAXE INTÉGRÉE À LA POÉTIQUE
Il est facile d'élaborer une théorie à partir d'exemples fabriqués en fonction d'un modèle théorique préparé à l'avance. Appliquer ce modèle à un poème ou à tout un recueil est une affaire beaucoup plus délicate. Dans notre travail sur les sizains et les alexandrins strophes (aa) dans Les Contemplations^, nous avons proposé, pour la mise en valeur de la structuration verticale et de la métrique interne du vers, une analyse que nous avons appelée « syntactico- métrie». Cette méthode semble présenter les prémisses d'une technique applicable de façon systématique d'un bout à l'autre d'un corpus homogène. C'est donc cette méthode que nous présentons aujourd'hui afin de bénéficier des remarques et suggestions des honorables lecteurs. Elle présente l'avantage de se prêter à un traitement informatique qui permet l'élaboration de statistiques. Les principes de base de notre analyse sont puisés dans une grammaire de constituants. Nous pensons qu'une poétique qui, pour étudier la phrase qui remplit une unité métrique, passerait par une structure profonde constituerait une trahison à l'intention du poète et au principe même de vers. Les phrases de chaque pièce ou ensemble métrique ainsi que leurs constituants immédiats doivent être délimités de façon linéaire et schématique. Nous utilisons pour cela le marquage par crochets emboîtés d'usage courant en grammaire generative.
Le modèle dont nous nous inspirons remonte directement à l'École de Cambridge en passant par ses principaux tenants et/ou leurs disciples. Cette école, dans ses travaux des années 1980-1990, travaux postérieurs aux Conférences de Pise, est plus connue sous le nom de Government and Binding Theory. Les débuts de ce courant qui constitue une orientation nettement marquée dans le domaine de la syntaxe generative et auquel nous avons cherché à donner une utilisation poétique remontent à un peu plus de quinze ans et peuvent être datés par la publication des travaux de Noam Chomsky en 1981 et 1982<9). Dans ce courant, la phrase et ses constituants sont analysés respectivement en termes de projection principale et de projections maximales. Ces projections sont perçues comme la représentation des regroupements des éléments de la structure de surface en foyers syntaxiques. Ainsi, chez Haegeman (1°) la phrase (sentence), conçue en linguistique anglaise comme l'unité
grammaticale la plus étendue (11), est définie comme une projection principale (12) (projection principle) qui constitue le résultat de la combinaison de deux projections maximales (maximal projections) qui sont théoriquement le SN et le SV, constituants de surface immédiats qui peuvent être réduits ou étendus. Les syntagmes qui contribuent à l'extension de ces constituants principaux, étant internes aux projections maximales, forment, non pas des projections maximales, mais un faisceau de projections dites intermédiaires (intermediate projections).
La phrase ainsi définie est aussi représentée par un nœud branchant binaire, c'est-à-dire qui se ramifie en deux nœuds qui constituent chacun une projection maximale d'éléments hiérarchisés, guidés par une tête lexicale, et organisés en domaines de gouvernement (Governing domains) (13>, de c-commande (c-command)^*) ou de m-commande (m-command)^5).
3. CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES
Dans notre travail sur Les Contemplations, nous avons défini la syntacticométrie comme une méthode consistant à hiérarchiser puis noter, sans tenir compte de la ponctuation, les frontières syntaxiques selon une grille de valeurs allant de 0 à 9 en passant par les valeurs de référence intermédiaires 3 et 6 <16). Dans notre travail sur les sizains, nous avons visé essentiellement ce que nous appelons une syntacticométrie verticale, dans la mesure où nous n'avons considéré que les frontières syntaxiques en fin de vers. Dans l'analyse des 5 702 alexandrins strophes (aa), notre objectif était double et complexe. Dans le but d'aboutir à une méthode qui offre plusieurs possibilités et qui soit surtout capable de rendre compte d'un maximum de phénomènes relatifs au grand vers français, nous avons cherché à dégager, outre la structuration verticale des pièces, la structure interne du vers par le biais d'une syntacticométrie horizontale ou interne.
Afin de fournir au lecteur des renseignements sur la méthode proposée, nous reproduisons ici les différentes étapes de notre démarche ainsi que les principes de la grille que nous utilisons pour la quantifications des réalisations relatives aux superpositions des niveaux de la structuration métrique et de l'organisation linguistique.
3.1. Étapes de l'analyse
— Sur une feuille de calcul Excel, nous procédons à une mise en valeur des frontières syntaxiques, aussi bien en fin
12
L'Information grammaticale n° 84, janvier 2000
8. Chetoui, Mohammed, 1997/1999, op. cit. 9. Chomsky, Noam, Lectures on Government and Binding, Dordrecht : Forts, 1981 et Some Concepts and Consequences of the Theory of Government and Binding, Cambridge, Mass. : MIT Press, 1982. 10. Haegeman, Liliane, Introduction to Government & Binding theory, Blackwell, Oxford UK & Cambridge USA, 19932.
11. Cette conception de la phrase rejoint la notion de « phrase grammaticale » chez Robert Garrette. Voir à ce sujet Garrette, Robert, « La phrase au xvne siècle. Naissance d'une notion », dans L'Information grammaticale, n° 44, janvier 1990 et « Du bon usage de l'outil phrase dans l'analyse des textes poétiques : application aux Regrets», dans Champs du signe, Presses universitaires du Mirail, 1995. 12. Haegeman, L, 19932, op. cit., p. 47. 13. Ibid., p. 77. 14. Ibid., p. 125 et Chomsky, Noam, Barriers, Cambridge, Mass., MIT Press, 1986, p. 8. 15. Haegeman, L., op. cit., p. 125 et 135. 16. Nous reprenons ici la grille de 0 à 9 proposée par B. de Comulier pour la ponctuométne.